Villes moyennes en déclin : le profil de ceux qui partent
23/11/2020
Elie Guéraut travaille sur les flux migratoires au départ des villes moyennes de France. Au sein du laboratoire Société, acteurs, gouvernement en Europe (Sage), le post-doctorant a cherché à décrypter les enjeux et les tendances de ces mobilités nationales.
« Les déplacements des étudiants constituent le plus gros volume migratoire en France, devant celui des retraités qui regagnent leurs régions d’origine ou le Sud de la France », souligne Elie Guéraut qui étudie durant sa thèse soutenue en 2018 les migrations étudiantes depuis Nevers, sa ville natale.
Premier constat : ce sont plutôt les enfants des cadres et catégories socioprofessionnelles les plus élevées qui quittent leur ville d’origine pour mener des études supérieures. « La reproduction sociale de ces catégories prend ici une dimension spatiale », note le jeune chercheur. A l’aide de données statistiques, des chiffres issus de la base Admission post-bac et du suivi sur 8 ans de 70 étudiants, Elie Guéraut peint un tableau à la fois précis et original de ces étudiants migrants.
« Un résultat qui ressort de mon étude est que les filles poursuivent plus souvent des études dans une autre ville que les garçons », remarque le jeune chercheur. L’explication se trouve à la fois dans une meilleure réussite scolaire chez les étudiantes mais aussi dans de plus faibles débouchés pour les métiers peu qualifiés traditionnellement « féminins » dans leurs espaces d’origine.
Un mélange d’attachement et de mépris
Sur les 70 personnes qu’Elie Guéraut suit pendant 8 ans, certaines sont parvenues à s’établir dans leurs villes adoptives. Mais pour d’autres, souvent issues de catégories moins favorisées, il a fallu revenir au domicile familial. « Ce retour est souvent vécu comme un échec, comme un retour au point de départ », constate Elie Guéraut.
Statistiquement, les chances de connaître une ascension professionnelle forte sont moindres dans les villes moyennes de province. « Il y a un mélange d’attachement et de mépris chez ces jeunes vis-à-vis de leur ville d’origine. D’autant plus s’ils ont suivi un cursus très élitiste ou dans le milieu artistique. »
L’arrivée d’une population populaire dans des zones aisées
Ces villes moyennes en déclin voient donc une partie de leur population qualifiée s’installer ailleurs pour bénéficier de meilleures opportunités professionnelles. Dans certains cas, même une fois l’installation réussie, certains reviennent. Ce sont plutôt des femmes qui effectuent ces « retours qualifiés », souvent soumises à des impératifs familiaux.
Ces départs, conjugués aux fermetures de commerces en centre-ville, entraînent l’arrivée d’une population populaire dans des zones habituellement aisées. Cette reconfiguration des villes moyennes entraîne une tension importante des relations sociales entre les habitants, également observée dans l’enquête nationale Mon quartier, mes voisins. « C’est un processus à l’inverse de la gentrification des centres-villes observée dans les grandes métropoles, ici le bâti se dégrade, les populations se paupérisent, et la valeur économique et symbolique de l’espace s’amenuise. » Pour le jeune chercheur, l’épidémie de Covid 19 a certainement produit des tendances migratoires nouvelles, qui seront intéressantes à observer dans les années à venir.
Léa Fizzala