« Le centre de gravité de la Cour suprême évolue vers la droite »
28/10/2020
Le Sénat vient de rendre son verdict : Amy Coney Barrett compte désormais parmi les neuf juges de la Cour suprême fédérale des Etats-Unis d’Amérique. Un poste qu’elle occupera à vie. Retour sur l’histoire d’une institution plus que bicentenaire avec Julien Jeanneney, spécialiste de droit constitutionnel.
Parlez-nous de la création de la Cour suprême. Quel est son rôle ?
La Cour suprême est la plus haute autorité juridictionnelle des Etats-Unis. Elle a été instaurée par la Constitution fédérale rédigée à Philadelphie, pendant l’été 1787, par les représentants d’anciennes colonies britanniques devenues indépendantes. Il s’agissait notamment de lui confier le soin de trancher d’éventuels conflits de compétence entre la fédération et les Etats fédérés, ou entre Etats fédérés. Par son arrêt Marbury v. Madison rendu en 1803, elle s’est reconnue compétente pour contrôler la conformité des lois à la Constitution fédérale. Les normes qu’elle contrôle à ce titre sont aujourd’hui diverses : actes du pouvoir exécutif, lois fédérales et lois d’Etats fédérés.
Comment fonctionne-t-elle ?
La saisine de la Cour suprême est potentiellement ouverte à tout justiciable. Cette dernière dispose cependant de la faculté de choisir, parmi les nombreux litiges portés devant elle, plus de 7 000 chaque année, ceux qui feront l’objet de son contrôle. Soit entre 100 et 150. La rédaction d’un arrêt peut prendre une année entière. Ce dernier se structure habituellement en plusieurs mouvements. Le premier est l’opinion de la Cour, souvent signée par une majorité de ses membres. S’y ajoutent parfois des opinions « dissidentes » lorsque des juges ne sont pas d’accord avec la solution retenue au terme de l’opinion majoritaire, ainsi que des opinions « concordantes » lorsque d’autres juges, d’accord avec la solution, suivent un raisonnement différent pour y arriver.
Qui nomme les juges de la Cour suprême ?
La Constitution fragmente cette compétence de nomination entre le président, qui choisit un candidat, et le Sénat fédéral, qui doit donner son agrément à cette candidature pour que le président puisse nommer son bénéficiaire à la Cour suprême. Ses membres sont nommés à vie. Il existe trois manières de quitter la Cour suprême : au terme d’une procédure de destitution, ce qui n’est jamais arrivé depuis la fondation de la République, d’une démission ou d’un décès.
Quel est leur profil ?
A l’époque contemporaine, le « portrait-robot » du membre de la Cour est le suivant. Un diplôme obtenu dans l’une des deux facultés de droit les plus prestigieuses du pays : Yale et Harvard. Une année passée auprès d’un juge de cour d’appel fédérale ou de la Cour suprême. Quelques années dans l’administration. Une nomination comme juge de cour d’appel fédérale. Certains juges s’en distinguent ponctuellement : Amy Coney Barrett est diplômée d’une faculté de droit moins prestigieuse et Elena Kagan n’a pas réussi à devenir juge de cour d’appel fédérale.
Que va changer la nomination d’Amy Coney Barrett ?
Jusqu’au décès de Ruth Bader Ginsburg, la Cour connaissait un relatif équilibre politique. Cinq de ses membres avaient été nommés par des présidents républicains, dont le président de la Cour, John Roberts, qui paraît aujourd’hui le plus modéré dans son camp. Quatre, dont les trois femmes de la Cour, l’avaient été par des présidents démocrates. Sauf à ce que sa liberté nouvelle la pousse à tempérer ses convictions, Amy Coney Barrett devrait siéger à la droite du camp conservateur. Le centre de gravité de la Cour évolue, de ce fait, dans cette direction. Du côté républicain, beaucoup espèrent notamment que sera redonnée aux Etats la liberté de contrecarrer l’accès des femmes à l’interruption volontaire de grossesse. Du côté démocrate, certains escomptent une loi augmentant le nombre de juges à la Cour, dans l’espoir de pouvoir y nommer, sous peu, plusieurs juges progressistes.
Propos recueillis par Marion Riegert