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Esclavage : « montrer les femmes comme agentes de l’histoire »

27/10/2020

L’esclavage est souvent raconté par des hommes évoquant la situation des hommes. Rocío Munguía Aguilar décide de s’intéresser aux autrices antillaises et latino-américaines hispanophones qui écrivent sur cette période. Un choix qui vise notamment à montrer l’effervescence de cette mémoire aujourd’hui. Sa thèse, soutenue en septembre 2019, a été récompensée par un prix de thèse Groupement d’intérêt scientifique (Gis) Institut du genre.

Rocío Munguía Aguilar réalise sa thèse
au sein de l'équipe d'accueil Configurations
littéraires. Photos DR

« Durant mon master, j’ai remarqué que la question de l’esclavage était souvent centrale dans la littérature antillaise mais les écrivains, essentiellement des hommes, se concentrent sur la valorisation de la figure du Noir. J’avais envie de montrer les femmes comme agentes de l’histoire », explique la jeune femme qui se penche sur l’écriture de femmes antillaises sur l’esclavage. Un sujet qu’elle élargit pour sa thèse aux autrices latino-américaines hispanophones.

Mexique, Argentine, Uruguay, Martinique, Guadeloupe, Haïti… Six écrivaines contemporaines* sont choisies pour le corpus principal. Trois originaires des Antilles et trois d’Amérique latine. « Ces dernières ne se revendiquent pas d’une descendance africaine, contrairement aux autrices antillaises. Elles ont également une vision plus extérieure et ne sont pas dans la revendication d’une mémoire personnelle mais plutôt nationale, à travers une esthétique plus simple. »

Agir par le corps au quotidien

Dans ces romans inspirés de faits et de personnages réels, des thématiques communes se retrouvent autour de la violence et de la résistance, traitées à travers la maternité ou encore l’infanticide. « Il y a une capacité des femmes à agir par le corps au quotidien. Elles prennent ainsi en main leur sexualité et mettent en place des stratégies d’accommodement. » Beaucoup de rituels de transmission de mémoire entre femmes, dont le tressage des cheveux, sont également présentés. « Tout cela donne une autre mesure à l’évènement, en montrant le quotidien de la femme esclave. »

Ces récits associant histoire et fiction évoquent des épisodes oubliés de la grande Histoire, qui redonnent une identité et une parole à ces femmes restées dans les archives. A l’image de l’ouvrage de Susana Cabrera, uruguayenne, qui propose une réécriture du procès pour le meurtre d’une matrone par ses deux femmes esclaves, en 1821. « J’ai pu aller voir les archives sur place et rencontrer l’autrice qui se met clairement du côté des esclaves, et tente d'imaginer ce qui a pu provoquer le meurtre. »

« Voyager dans des identités, des expériences, des parcours »

Autre texte : celui de Gisèle Pineau sur sa propre histoire familiale, cette fois. « Tout est parti du bout d’un acte d’affranchissement de son ancêtre esclave, qu’elle a retrouvé. Pineau est le nom du maitre de son aïeule. »

La jeune femme est partie enquêter
sur le terrain, notamment au Mexique,
dont elle est originaire.

Le prix Gis Institut du genre, de 3 500 euros, va permettre à Rocío Munguía Aguilar d’ouvrir sa thèse à d’autres départements francophones, comme la Guyane ou La Réunion mais aussi vers d’autres espaces et d’autres postures littéraires, en Afrique subsaharienne notamment. « Je souhaite ainsi consolider ma thèse et montrer qu’il y a une poétique plus globale autour de l’esclavage. La littérature permet de voyager dans des identités, des expériences, des parcours », conclut la jeune chercheuse.

Marion Riegert

*Oralia Mendez (Mexique), Ana Gloria Moya (Argentine), Susana Cabrera (Uruguay), Fabienne Kanor (Martinique), Gisèle Pineau (Guadeloupe) Evelyne Trouillot (Haïti).

Le Gis Institut du genre

Application information

Pour soutenir la jeune recherche et encourager la diffusion des connaissances dans le domaine du genre et des sexualités, le Groupement d’intérêt scientifique Institut du genre crée en 2013 un prix de thèse. Après un vote à bulletins secrets, le conseil scientifique du Gis, réuni le 23 septembre, a attribué deux prix de thèse pour l’année 2020.

Fondé en 2012 à l’initiative de l’Institut des sciences humaines et sociales du CNRS, l’Institut du genre est un Groupement d’intérêt scientifique qui réunit 30 partenaires institutionnels. Hébergé par la Maison des sciences de l’Homme Paris Nord, l’institut travaille en synergie avec cette dernière. S’appuyant sur des UMR et des équipes explicitement engagées dans la recherche sur le genre, il constitue un lieu de coordination, de référence et d’accueil scientifique des recherches françaises sur le genre et les sexualités.