« L’euro reste une monnaie inachevée »
21/05/2019
Série 10 ans de recherche épisode 4. Récipiendaire honorifique du prix Nobel de la paix attribué à l’Union européenne en 2012, Moïse Sidiropoulos, professeur des universités et chercheur au Bureau d’économie théorique et appliquée (BETA), évoquait la situation de l’Europe dans le magazine Savoir(s) à quelques mois des élections européennes. 7 ans plus tard, alors que l’Euro fête ses 20 ans et que de nouvelles élections approchent, la situation n’a pas vraiment changé…
Lors de votre interview, vous évoquiez les éléments nécessaires à une sortie de crise, qu’en est-il aujourd’hui ?
Vingt ans après son lancement, l’euro a survécu à plusieurs crises. La dernière, de 2010 à 2012, a été particulièrement grave. Pourtant, la crise de la zone euro n’était pas une surprise, car l’euro reste une monnaie inachevée, une monnaie sans État, ayant une légitimité politique fragile. Bien que projet politique à l’origine, l’euro n’a pas été accompagnée d’un transfert à des institutions fédérales des domaines qui relèvent du cœur des souverainetés nationales, comme la politique monétaire confiée à la Banque centrale européenne (BCE). C’est ce défaut d’union fédérale qui explique les insuffisances structurelles de l’euro : l’absence d’autorité politique centrale contrôlée démocratiquement pour décider d’une politique économique commune, l’absence d’un budget fédéral… l’approfondissement de l’union bancaire décidée en juin 2012…
L’Union bancaire, une partie de la solution ?
Il a fallu que la zone euro soit menacée de destruction pour que les pays acceptent la supervision de leurs banques par une autorité commune dépendant de la BCE. Cette autorité doit imposer des recapitalisations et restructurations en faisant appel aux actionnaires, créanciers et déposant, et, en dernier ressort, aux contribuables. Ceci empêcherait les collusions entre banques et gouvernements et permettrait de dissocier les crises bancaires des crises de dette souveraine. Toutefois, l’Allemagne a bataillé pour affaiblir l’Union bancaire tout en repoussant sa réalisation jusqu’en mars 2014. Ainsi, malgré l’Union bancaire et le Mécanisme européen de stabilité (MES), la gouvernance économique de la zone euro demeure toujours d’une faiblesse extrême. Elle reste essentiellement «intergouvernementale». Ce sont toujours les États, et non les institutions fédérales, qui sont les maitres de la zone euro.
L’Allemagne est-elle toujours, selon vous, le «maillon faible» ?
On touche là le cœur du problème qui menace la pérennité de l’euro. L’Allemagne profite d’un euro sous-évalué pour elle, mais surévalué pour les autres, qui doivent baisser leurs prix pour pouvoir exporter avec le risque déflationniste. Au lieu d’améliorer sa demande interne pour rééquilibrer les déficits externes des autres économies, l’Allemagne épargne davantage en accumulant des excédents pour les retraites de sa population vieillissante. Cet excès d’épargne est prêté plutôt en dehors de la zone euro. Elle ne se déplace pas pour financer les investissements des pays déficitaires de l’Union comme c’est le cas aux États-Unis. Enfin, la BCE, créée à l’image de la Bundesbank a pendant longtemps appliqué une politique de rigueur renforçant le chômage pour son unique objectif d’inflation faible. Ceci révèle un manque de solidarité dans la zone euro.
La montée en puissance économique de la Chine ou encore le Brexit vont-ils affaiblir l’Europe ?
L’Europe se trouve divisée face à une Chine qui monte en puissance, bien décidée à prendre sa place dans l’ordre mondial. Elle doit demeurer l’un de ses interlocuteurs importants en agissant de manière fédérée. Quant au Brexit, il a renforcé l’idée de la monnaie unique à laquelle une majorité des citoyens reste attachée. L’Europe est moins menacée par le Brexit que par le vide politique qu’elle-même a secrété. La conclusion que l’on doit en tirer est qu’il est nécessaire d’accélérer la construction européenne. Si les pays n’ont pas le courage d’achever la construction de l’euro, cette monnaie sans État disparaitra. Il n’est pas trop tard pour y remédier comme le propose Emmanuel Macron depuis son élection en 2017. La France semble actuellement prête à accepter ce qu’elle avait constamment refusé jusqu’ici.
Propos recueillis par Marion Riegert
- Retrouvez l'article original dans le numéro 19 du magazine Savoir(s)
Un ouvrage sur la gouvernance économique de la zone euro
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Pour comprendre les débats sur l’avenir de la zone euro Moïse Sidiropoulos, Amélie Barbier-Gauchard, chercheurs au BETA et Aristomène Varoudakis, membre du Laboratoire de recherche en gestion et économie (LARGE) ont publié un ouvrage en mai 2018. Intitulé « La gouvernance économique de la zone euro, réalités et perspectives », le livre, préfacé par Paul De Grauwe, économiste de renom, s’adresse à toute personne qui souhaite saisir les enjeux relatifs à l’union monétaire européenne.
10 ans de recherche à l’Université de Strasbourg
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L’Université de Strasbourg fête ses 10 ans. L’occasion de partir à la rencontre des chercheurs et ainsi mettre en lumière chaque mois une recherche ayant eu lieu entre 2009 et 2019. Voir comment ces dernières ont évolué à travers le temps débouchant parfois sur des impasses ou donnant lieu à de nouvelles découvertes. Retrouvez tous les articles de la série sur notre timeline.