Mode éco-responsable, j’achète ?
14/02/2019
L’industrie textile est parmi les plus polluantes de la planète. Depuis les années 90, la mode éco-responsable se développe mais les consommateurs ont-ils sauté le pas ? Eléments de réponse avec Sihem Dekhili, maitre de conférences au sein du laboratoire HuManiS (Humans and Management in Society). Spécialiste de la consommation responsable, la chercheuse a mené plusieurs études sur le sujet, dont une en 2015 à travers un panel de 1 086 consommateurs résidant à Paris.
La slow fashion, un marché de niche
Consommation écologique, verte, responsable… « Il y a plusieurs terminologies pour dire à peu près la même chose. On entend aussi mode éthique avec un aspect plus social », précise Sihem Dekhili. Cette mode arrivée dans les années 90 avec le développement du coton biologique relève de la slow fashion (mode lente) par opposition à la fast fashion. Objectif : ralentir la consommation avec la création de 3 à 4 collections par an contre une douzaine pour les marques classiques. « Tout en prenant en compte des critères sociaux et environnementaux avec par exemple une production plus locale pour éviter l’impact carbone. » Actuellement, le coton biologique représente 0,1% du marché international… une aiguille dans une botte de vêtements. « Cela reste un marché de niche », souligne la chercheuse.
Côté consommateurs, branché ne rime pas avec écologie
Plusieurs facteurs expliquent ce développement faible et en premier lieu les réticences des consommateurs. Ces derniers perçoivent les produits issus de la mode écoresponsable comme démodés, peu attrayants et paradoxalement de moindre qualité car parfois issus du recyclage. « Lorsqu’un consommateur achète un vêtement, il cherche un statut, une image à renvoyer. L’argument écologique ne suffit pas à vendre. » Problème, peu de marques sont parvenues à faire rimer branché et écologie. Et lorsqu’elles y arrivent ce n’est pas sur cette dernière qu’elles misent à l’image de l’entreprise Veja. « Elle fabrique des baskets écologiques en caoutchouc végétal. Mais elle préfère mettre en avant l’aspect branché de son produit. » Côté profils, l’étude réalisée par Sihem Dekhili laisse apparaitre que les femmes consomment plus de mode éthique que les hommes. L’âge moyen se situe entre 36 et 50 ans pour des revenus entre 1 000 et 3 000 euros.
Avoir une bonne image, des entreprises opportunistes
S’il y a peu de demandes quel intérêt pour l’entreprise de se lancer dans la mode écologique ? Sihem Dekhili distingue deux profils. Les sociétés comme Patagonia qui placent la durabilité au cœur de leur business model : de la conception à la production en passant par la question du recyclage. Ces dernières souhaitent changer les modes de consommation et osent des slogans comme « buy less » (achetez moins). D’autres, surfent sur la tendance de manière plus opportuniste en présentant une offre relevant de la mode éthique à côté d’autres modèles plus classiques. « C’est l’enjeu de la réputation », précise la chercheuse qui souligne que les consommateurs ne sont pas les seules parties prenantes dans une entreprise. « Il y a aussi les actionnaires. L’image responsable est positive. »
Le cas des produits de luxe, un argument contreproductif
Certaines marques de haute-couture comme Hermès ou Yves-Saint-Laurent se sont mis à l’écologie avec la création depuis les années 2009, 2010 de collections avec des restes de séries antérieures et du coton biologique. Mais ces dernières ne font pas mouche. Lors de deux études réalisées en 2013 et 2016 sur le luxe et le développement durable, Sihem Dekhili note notamment que les consommateurs préfèrent les chemises Hermès sans matériaux recyclés. « Dans le luxe, l’argument écologique sonne négativement. Il va jusqu’à détériorer la qualité perçue par les personnes. » Avoir du style, ça n’a pas de prix…
Marion Riegert