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De l'idéal du plurilinguisme

03/07/2017

Faire de la multiplicité des langues pratiquées sur le Vieux Continent un pilier de l’identité européenne. Voilà la mission que n’a eu de cesse de poursuivre le Conseil de l’Europe depuis sa création. Un rôle qu’a interrogé Zorana Sokolovska durant sa thèse, primée par l’Université de Strasbourg* en juin dernier.

Le Conseil de l'Europe abrite 47 Etats membres

Pourquoi une institution internationale comme le Conseil de l’Europe s’est-elle positionnée en faveur du plurilinguisme ? C’est à cette question que Zorana Sokolovska, aujourd’hui chercheuse postdoctorale et chargée de cours à l'Université de Strasbourg et à l'Université de Fribourg en Suisse, s’est intéressée durant sa thèse. « J’ai tracé une généalogie des débats sur les langues qui ont eu lieu au Conseil de l’Europe depuis sa fondation jusqu’aux années 2000 pour comprendre pourquoi et comment une institution internationale, par essence politique, s’est intéressée aux langues et a fait de son discours sur les langues, un discours largement accepté et diffusé. »

Une démarche scientifique qui puise dans son expérience personnelle. Arrivée en 2007 à Strasbourg depuis sa Macédoine natale, Zorana rêve de travailler pour les institutions européennes, elle qui maîtrise déjà plusieurs langues. Elle déchante vite. Le français ou l’anglais n’étant pas sa langue maternelle et sa nationalité ne lui octroyant pas la citoyenneté européenne, elle n’est pas une locutrice légitime pour ces institutions. Elle ne peut alors s’empêcher de s’interroger : « Si moi qui parle six à sept langues et qui viens de l'Europe, je ne suis pas plurilingue et européenne au sens de ces institutions, alors qui l'est ? Et finalement, à quoi et à qui sert ce discours sur le plurilinguisme ? »

Construction discursive

Selon la sociolinguiste, pour comprendre le positionnement du Conseil de l’Europe en faveur de la diversité des langues, il faut replacer l’institution dans le contexte de l’après-guerre. Afin d’éviter de nouveaux conflits, l’enjeu est alors de mettre l’accent sur ce que les pays ont en commun plutôt que de pointer les différences. Le  Conseil de l’Europe émerge ainsi comme une plateforme de coopération rassemblant, à ses débuts, les Etats d’Europe de l’Ouest. Reste toutefois un sérieux écueil à surmonter : les différentes langues parlées en Europe ne constituent-elles pas un obstacle à la communication ? Traits emblématiques et distinctifs des Etats, ce sont des marqueurs de différence. Comment faire pour coopérer malgré tout ?

Pour combler ce fossé qui sépare les nations, le Conseil de l’Europe développe des méthodes d’apprentissage et d’enseignement des langues. Surtout, il s’efforce de changer les représentations pour que la pluralité des langues ne soit plus perçue comme un obstacle mais bel et bien comme une richesse. « C’est ce qu’on appelle une construction discursive, explique Zorana. C’est ce qu’il se produit progressivement au Conseil de l’Europe. On met en avant le plurilinguisme comme un atout et une ressource tout en faisant abstraction des aspects qui demeurent problématiques et réels. » A savoir : non-maîtrise des langues étrangères, coût de la traduction, absence de langue commune, etc.

Un cheval de Troie pour les intérêts nationaux ?

Faisant fi de la barrière que peut constituer une langue, le Conseil de l’Europe a érigé petit à petit le plurilinguisme comme l’élément unificateur des Etats. Mais à quel point ce discours relève-t-il de la posture ? « Ce que ma thèse montre, c'est que malgré le développement de cet idéal du plurilinguisme qui s'articule à l'idéal européen, l'idéal de l'Etat-nation, l'idéal monolingue en somme, ne perd pas son élan et demeure implicitement ou explicitement ancré dans le sens commun et participe à la construction d'une réalité sociale. On s'attend encore à ce qu'il y ait une langue qui soit maîtrisée parfaitement et des langues qui soient davantage mises en avant que les autres. »

Ronan Rousseau

*: Prix parrainé par l’Association Parlementaire Européenne (APE), avec le soutien du Parlement européen. 

Une thèse primée

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« Sociohistoriquement et idéologiquement situé », le discours sur le plurilinguisme a été négocié dans la recherche d’un compromis pour satisfaire des intérêts multiples :

« La célébration du plurilinguisme a émergé comme une solution gagnant-gagnant pour permettre aux individus d’avoir une liberté de choix dans l’apprentissage et l’usage des langues, aux Etats-nations de préserver leur prérogatives, et enfin pour permettre de croire à l’idéal européen et de chercher à le réaliser. »

En éclairant d’un jour nouveau le discours sur le plurilinguisme, Zorana Sokolovska a montré qu’il ne devait pas nécessairement être tenu pour acquis. Un regard scientifique et distancié récompensé par un prix de thèse de l’Université de Strasbourg. « Ce prix valorise mon travail mais aussi le domaine des sciences humaines et sociales qui reste encore à la marge des intérêts extra-scientifiques. »

Zorana Sokolovska a reçu son prix de thèse le 23 juin en présence de son directeur de thèse Dominique Huck (à gauche) et d'un représentant de l'APE (à droite) - Crédit photo : Catherine Schröder/Unistra